Chronique d’une mort (in) évitable

24 mars 2015

Chronique d’une mort (in) évitable

« Omnes vulnerant, ultima necat » : Toutes blessent, la dernière tue…

Dans notre profession de médecin, nous sommes régulièrement confrontés à la mort d’un patient. Il s’agit, à chaque fois, d’une expérience sensible, pénible et à laquelle on ne s’habitue jamais.
Parmi mes rencontres les plus douloureuses avec la grande faucheuse se trouve le décès d’un patient qui m’a meurtri à jamais dans ma chair. Il s’agissait de mon oncle maternel.

Il avait été opéré du cœur, un pontage coronarien : une intervention qui consiste à perméabiliser à nouveau un ou plusieurs vaisseaux sanguins du cœur, qui avaient été bouchés par une plaque d’athérome (du cholestérol). Deux de ses vaisseaux avaient été diagnostiqués obstrués depuis quelques années. La perspective d’une mort subite l’avait finalement poussé à accepter de subir cet acte chirurgical.

L’intervention s’est déroulée dans le service de chirurgie cardio-vasculaire d’un hôpital de Dakar. Quelques jours plus tard, je suis passé le voir à l’hôpital mais je l’ai trouvé très pâle ! Je reconnais qu’à ce moment, une petite alerte s’est déclenchée en moi.

J’ai essayé de rassurer ma mère qui s’était aussi rendu compte de cette anémie manifeste. Le soir même, j’ai appelé une amie cardiologue qui travaillait dans le même service pour lui parler de cette anémie. A ma femme, j’ai secrètement confié que, selon mon expérience, mon oncle n’allait pas se relever de son intervention. Je ne croyais pas si bien dire.

Deux jours après, vers 20 heures, en rentrant du boulot, ma mère m’a appelé pour me faire part à nouveau de son inquiétude, car elle était retournéé le voir et l’avait trouvé encore plus pâle et il s’essoufflait au moindre effort. Je me suis donc rendu à son chevet avec un mauvais pressentiment.

Arrivé sur place une heure plus tard, je l’ai trouvé vraiment très mal en point, pâle comme un linge ! Il venait de terminer son dîner et quelques minutes après, il vomissait tout ce qu’il venait de manger dans une grande mare de sang !

J’ai appelé l’infirmier de garde qui était très motivé et très disponible. Nous l’avons donc nettoyé et avons changé ses habits. Sa tension artérielle était très basse, à 8/5, avec un pouls très rapide : 128 battements par minute. Ces chiffres étaient témoins d’un déséquilibre hémodynamique important et, devant ce vomissement de sang, j’ai conclu qu’il s’agissait probablement d’une hémorragie interne. Il fallait absolument faire quelque chose, sinon le pire allait arriver.
J’ai donc fait appeler le médecin de garde, mais il était au bloc chirurgical en pleine opération ! J’ai demandé à ce qu’on lui donne de l’oxygène pour mieux respirer, en attendant, mais il n’y en avait pas dans le secteur d’hospitalisation et ce malgré la tuyauterie installée à cet effet.

J’ai enfin demandé à ce qu’on le transfère au rez-de-chaussée où il pourrait être oxygéné, mais le brancardier, le seul brancardier de garde, n’était pas disponible non plus, occupé à l’autre bout de l’hôpital à brancarder un autre patient.

Avec l’aide de l’infirmier, nous avons tenté de le déplacer nous-mêmes, mais il était incapable de faire le moindre pas tellement il était faible et essoufflé. Le mettre en position debout était tout aussi dangereux et pouvait désamorcer son cœur.

J’ai quand même demandé à ce que le médecin de garde soit prévenu, l’infirmier est venu placer une perfusion de macromolécules qui a permis de faire remonter la tension artérielle à 10/8 et redescendre le pouls à 110. Un des deux médecins de garde est donc sorti du bloc opératoire pour l’examiner et a conclu à un probable ulcère hémorragique. Une ordonnance d’anti-ulcéreux lui avait déjà été prescrite quelques jours auparavant.

Ce diagnostic ne m’avait pas convaincu, mais dans tous les cas, il y avait un saignement interne et la seule solution était de rouvrir pour aller arrêter ce saignement. Le bloc opératoire étant occupé, il fallait tout juste attendre le retour du brancardier et attendre que le bloc se libère.

A un moment, j’ai voulu sortir pour aller trouver une hypothétique solution mais mon oncle m’a tranquillement demandé de rester auprès de lui.

A cet instant, j’ai compris, et lui aussi sans doute, que la partie était finie pour lui et que ce n’était plus qu’une question d’heures. Avoir une hémorragie interne, être dans un lit d’hôpital sans oxygène, sans possibilité d’être déplacé et sans chirurgien disponible, il est impossible d’y survivre.

L’infirmier a repris sa tension. Elle avait encore chuté à 7/4, le pouls était filant, sa respiration devenait de plus en plus rapide et superficielle. Mais le plus inquiétant était sa main : elle était devenue froide, glaciale !
Nous sommes donc restés là, tous les deux, à nous regarder, moi formulant intérieurement des versets du Coran pour son salut, lui psalmodiant sûrement aussi et imperceptiblement des versets. Tous les deux convaincus que sa dernière heure était arrivée !

La chambre était froide, étrange, l’atmosphère lourde. Manifestement, l’ange de la mort était arrivé.
Au début, dans les yeux de mon oncle, on pouvait y lire une certaine panique, mais, peu à peu, on n’y lisait plus que du calme, de la sérénité : il était prêt à partir.

A 22 heures , sa respiration a commencé à ralentir pour se transformer peu à peu en de brèves et inefficaces inspirations. Elle s’est terminée par une longue et dernière inspiration finale… à 22 h 30. C’était fini !
mort
Le médecin de garde est sorti du bloc opératoire 10 minutes après, pour constater le décès.
Le brancardier de garde est aussi venu un peu plus tard pour transporter le corps à la morgue de l’hôpital.
Le souvenir douloureux de la mort de mon oncle, lui, restera à jamais gravé dans ma mémoire.

« Omnes vulnerant, ultima necat »: Toutes [les heures] blessent, la dernière [heure] tue…

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Commentaires

MC
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Que Dieu ait son âme..

Ravane
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So touching - may Ya Allah rest his soul in his highest paradise Inchallah.

Sall
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Paix a son ame..