Chronique d’une mort (in)évitable, 2ème partie : 1er vrai décès

4 août 2015

Chronique d’une mort (in)évitable, 2ème partie : 1er vrai décès

mort necat
Le 1er décès, le 1er vrai décès pour un médecin, hante toujours et à jamais. Non pas qu’il ya de faux décès mais, nous entendons par vrai décès, une situation où vous avez tenté en vain d’empêcher le décès qui était peut-être évitable. La volonté divine étant plus forte, sans vouloir verser dans le fatalisme, ces vrais décès nous rappellent combien nous sommes insignifiants et impuissants face à la mort et que Dieu seul a le pouvoir de guérison ultime.

Si le patient arrive, déjà décédé ou dans un état si critique que le décès survient inéluctablement dans les minutes qui suivent, le choc est légèrement moins… traumatisant que si vous avez la sensation d’avoir laissé mourir le patient.
Mon 1er vrai décès est survenu à la dernière année de ma spécialisation, à moins de 5 mois de l’examen de sortie. Récit de ce décès qui hante mes nuits.

Il s’agissait d’une jeune patiente guinéenne reçue vers 2h du matin, enceinte mais dont la grossesse avait dépassé largement le terme prévu, dans un contexte de diabète.

La grossesse était mal suivie, avec un bilan incomplet, sans aucune échographie. Elle était en 1ère phase du travail et l’examen confirma rapidement que l’enfant était décédé depuis plusieurs jours dans son ventre et qu’il pesait plus de 4kg.
Le diagnostic exact était : rétention d’œuf mort (ROM) sur dépassement de terme dans un terrain de diabète gestationnel et macrosomie fœtale en 1ère phase du travail, en bref : une bombe dans notre jargon médical.

J’avais le choix entre : faire une césarienne et extraire un mort-né macéré avec le risque infectieux que cela constitue dans ce contexte de diabète et le risque hémorragique du à la mort du fœtus ou, laisser faire un accouchement par voie basse avec probablement des difficultés à expulsion à cause du poids du fœtus.
J’ai préféré opté pour cette seconde option.

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Après un travail rapide (elle était à sa 6ème ou 8ème grossesse), la tête macérée du fœtus est sortie et, comme prévu, les épaules, trop larges, se sont bloquées dans le bassin de la femme. C’est la fameuse dystocie des épaules.

Ici aussi, 2 options possibles : soit une embryotomie : découper le bébé et le sortir en morceaux : option inacceptable à mon niveau (quoique j’ai été obligé de le faire un jour : le récit dans un autre article) ou faire une manœuvre de déblocage des épaules avec le risque de fracturer une clavicule ou de déchirer les voies génitales. Puisque le fœtus été déjà mort, j’ai opté pour cette 2ème option.

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Grâce à cette méthode laborieuse, le fœtus à pu enfin sortir mais il ya eu quand même une hémorragie tout de suite après. La patiente a été conduite sur le champ au bloc opératoire où un examen sous-valves à révélé une déchirure du fond vaginal. J’ai donc réparé cette déchirure par des points de suture et mis en place un tamponnement vaginal pour contrôler le saignement.

Au lendemain matin, en transmettant la patiente à ma relève, j’ai constaté la persistance d’un saignement vaginal, plus abondant que les lochies attendues. J’ai donc suggéré de la retourner au bloc pour un second examen sous-valves.

Quand je suis rentré chez moi, j’ai dormi d’un sommeil perturbé, quelque chose, une sorte d’instinct, ne me lâchait pas. A mon réveil vers 18h, j’ai essayé de joindre en vain le médecin de garde qui m’avait relevé et cela m’a encore plus perturbé.

Jai finalement appelé l’une des sages-femmes de garde et celle-ci m’a annoncé « désolé Doc, la patiente est décédée ! »
Le monde s’est effondré sous mes pieds ! Je venais de tuer une patiente !?

Depuis la mort de mon père, cela a été la plus grande douleur que j’avais vécue.
Non seulement c’était la fin de ma carrière, mais, surtout, c’était une damnation pour moi : j’allais finir en enfer pour avoir tué un être humain !

Je ne saurais dire comment j’ai pu retourner sur le champ à l’hôpital sans faire d’accident durant le chemin. Il fallait que je comprenne : pourquoi ? Que c’était-il passé ? Quelle erreur j’avais commise ? Aurais-je du l’opérer à l’entrée ? Aurais-je du faire l’embryotomie ? Aurais-je mal réparée la déchirure ?

Le médecin de garde m’a expliqué qu’après mon départ, il avait essayé de retourner la patiente au bloc opératoire pour refaire l’examen sous-valve.

Pour être totalement honnête et objectif et sans vouloir lui faire porter la responsabilité de ce décès, l’anesthésiste avait refusé de ré-endormir la patiente. Il aurait justifié son refus par les autres urgences vitales qu’il avait à gérer.

Quoiqu’il en soit, quand finalement, sur l’insistance du médecin la patiente a été installée au bloc, il était trop tard : elle a fait un arrêt cardiaque sur la table et a été réanimée en vain !

La patiente avait-elle une seconde déchirure vaginale que je n’avais pas vue ou que j’avais mal réparée ?
La persistance du saignement était-elle due à cette libération par le fœtus de substances empêchant la coagulation (les thromboplastines) et que l’on retrouve dans les ROM?

Aurait-on pu l’admettre plus tôt au bloc opératoire si l’anesthésiste avait été plus conciliant ?
Dieu seul le sait et Lui seul nous jugera pour ce décès que je ressens encore aujourd’hui comme une douleur et un échec personnel.
A chaque fois, que, dans mon exercice quotidien, je suis confronté à un décès, quelqu’en soit la cause, la blessure de mon 1er vrai décès s’ouvre à nouveau.

Que Dieu nous pardonne !

toubibadakar

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Commentaires

fatou samake
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Masseu docteur diop! Yalla nopina tai mome rek mo meune.

toubibadakar
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Merci Mme Fall