A la recherche des selles, 2ème partie

13 novembre 2014

A la recherche des selles, 2ème partie

Et enfin, il termina en disant qu’il était indécent de demander, à quelqu’un qui à l’âge de son grand-père, des selles!
🙁

J’abdiquais.
Nous avons donc quitté le village après avoir pris congé de ses habitants et nous nous sommes de nouveau enfoncé dans cette… jungle.

Dans la voiture, nous avons discuté de notre échec et nous étions conscients que la réaction du vieux était assez logique et que ce serait vraiment très difficile de trouver un patient âgé qui, pendant toute sa vie n’avait pas collaboré avec la médecine moderne (soit parce qu’il n’en était pas convaincu ou parce qu’il n’en a pas eu l’opportunité) et qui accepterait de donner ses SELLES à la Science.

Il nous fallait une autre stratégie.
En attendant, je me concentrais sur mon labyrinthe forestier : gauche. Non droite…
Ma hantise était de tomber sur une souche dont les hautes herbes rendaient le repérage difficile. Nous étions tel le Titanic tentant d’éviter les icebergs.

Et ce qui devait arriver … arriva. Tandis que m’évertuais à repérer ces maudites souches à bâbord (en pensait tout de même toujours à ces selles), mon copilote (Anne-Marie)s’écria : « Attention, la souche … »
Trop tard, PAN !!!!
Je venais de heurter violemment, par le pneu avant droit, une souche que les hautes herbes dissimulaient sournoisement. Heureusement il y eut plus de peur que de mal, aucun dégât matériel ou mécanique. Enfin si, le seau de lait caillé s’était complètement renversé: une catastrophe pour moi qui raffole de «soow».

C’était quand même, pour les superstitieux, un bon présage : on dit que quand on renverse accidentellement du lait lors d’un voyage, on a échappé à un grand malheur (accidentellement j’ai dit). Nous nous sommes consolés avec l’idée que cela aurait pu être pire si une pièce du véhicule avait été atteinte, ce qui nous aurait immobilisé au milieu de nulle part.

Le voyage repris donc plus calmement et plus prudemment. Par chance, la forêt devint moins dense et même, une piste latéritique apparut.Wassadou
Le reste du trajet c’est déroulé sans incident majeur et nous sommes arrivés à Kagnoubé à 17h30. Un coup d’œil sur le compteur kilométrique montrait que l’on ne venait de parcourir « que » 55 km depuis le départ de la Maison Médicale en plus de 5h30 de route si l’on tient compte des 2h de consultations à Bambadinka et de l’arrêt à Simbani Peulh (voir la carte).

Kagnoubé est un village d’une vingtaine de cases que l’on découvre dans une sorte de clairière perdue au milieu de la forêt touffue que l’on venait de traverser. Comme à l’accoutumée, nous sommes allés saluer le chef du village et les notables.

Au début, le chef pensait que nous nous étions perdus dans la forêt. Ainsi, avec la plus grande simplicité et précision possibles, nous lui détaillâmes les raisons de notre présence. Ce dernier, très chaleureux, s’est réjouit de notre présence dans son village et nous a assuré de toute sa collaboration.

Il nous précisa qu’il y avait effectivement des gens dans le village qui n’avait jamais encore pris de médicaments « modernes ». Il ajouta qu’il serait plus facile de trouver cela chez les enfants (certains n’avaient jamais quitté le village, ni même vu des étrangers).
Il fit héler le crieur public qui ameuta les quelques 60 à 70 âmes que semblait compter le village et une petite assemblée générale s’improvisa.

Le chef de village, dans la langue locale, exposa à la population les raisons de notre présence et demanda à ceux qui n’avaient pas encore pris d’antibiotiques ou mieux, de médicaments, de se manifester. Apres quelques moments de conciliabules, certaines mères expliquèrent qu’elles avaient rarement donné des médicaments a leurs enfants mais qu’elles ne savaient pas si c’était des « bactrim » ou pas. Nous leur avons demandé ainsi de ramener
les boites des médicaments si possible, même vides. On nous amena tout un tas de boites vides et de plaquettes de gélules où, pour la plupart, il ne restait qu’une ou 2 gélules.

Dans ce lot, un se révéla être de l’Amoxicilline et l’enfant qui avait pris ce médicament fut exclus du lot (au grand dam de sa mère). Ensuite, on expliqua aux enfants sélectionnés que l’on avait besoin d’un peu de leurs selles ce qui déclenchât un fou rire général. Certains enfants s’offusquèrent et refusèrent.

A ce moment, Anne-Marie eut une brillante idée : elle sortit, de je ne sais où, un sachet de bonbons ce qui attira la convoitise des enfants. Elle leur proposa ainsi un deal simple : un peu de selles contre 2 bonbons !
« Vous voulez vraiment échanger des selles contre vos bonbons ?» nous lança perplexe un des gosses qui semblait douter de nos facultés mentales. « Ok, comment allons nous faire ? ».

Le village ne disposait pas de latrines et tous les besoins se faisaient dans la forêt. On leur remis a chacun un petit sachet et il disparurent derrière les cases.
Au bout de quelques minutes, un des enfants revenait timidement avec son sachet qu’il cachait derrière son dos pendant que les rires reprenaient, visiblement les villageois étaient amusés par ce qui semblait être une farce à leur yeux.

Je récupérais le précieux sachet, allais derrière le 4×4, sortais les gants, étiquettes et tubes de gélose, relisais une dernière fois les instructions à suivre et, avec une curette, je prélevais délicatement un petit bout de selles que j’introduisais dans la gélose avant de refermer le tube.

Pendant ce temps, Anne-Marie recueillait les données cliniques (prénom, nom, âge, sexe…) puis étiquetait le tube. A l’enfant, elle remit les 2 précieux bonbons et, c’est à ce moment précis que les autres enfants nous prirent vraiment au sérieux. Les choses allèrent plus vite. Ce fut une course aux bonbons pour les autres. Les mères
encourageaient les enfants à aller vite rapporter leur objet de troc. Rapidement, on a été submergé par les sachets.

Ainsi, méthodiquement, nous obtenions les 15 premiers prélèvements. Puis le rythme se fit plus lent. Le dernier prélèvement fut assez difficile à avoir. Nous nous apprêtions même à plier bagages quand une mère accourue avec un petit enfant d’un an à peine et son sachet (comment s’y était-elle prise ?:-) ). La dernière affaire fut vite
conclue, le ciel commençait à se monter menaçant et il était déjà presque 18h.
Nous avons ensuite remercié l’ensemble des villageois de leur collaboration. Le chef fit l’éloge du Kinkéliba et nous pria de bien vouloir prévoir dans notre calendrier de sortie des visites médicales périodiques dans son village vu les difficultés qu’ils éprouvaient pour se rendre dans les structures de Santé les plus proches. Je promis d’en toucher un mot au président du Kinkéliba et à la directrice de la MMW.
Le voyage de retour fut aussi cahoteux mais heureusement, sans incident majeur surtout que la nuit était tombée progressivement. Nous étions vraiment KO.

Vers 20h30, nous sommes arrivés à Bambadinka où je pus enfin couper mon jeun (un des notables m’offrit chaleureusement un bol de kinkéliba au lait chaud avec une baguette de pain traditionnel tartiné : un régal). Diallo prit congé après nous avoir rempli de nouveau notre seau de lait caillé. Le reste du chemin se fit plus joyeux.
A hauteur de Missira, nous plongeâmes dans un rideau de pluie jusqu’à notre arrivée à la MM. Il était 23h et nous venions de faire 107 km au compteur. Nous étions lessivés mais heureux d’avoir pu remplir notre mission.
Les prélèvements ont été remis à Pascal le gérant de la maison médicale qui les remettra au Pr Rouveix.

Le vendredi, je m’offris une journée de repos dans la MM avant de reprendre la route pour retrouver les embouteillages et autres contraintes de la vie à Dakar mais cela, c’est une autre histoire. ☺

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