Chronique d’une mort (in)évitable: la mort de mon père 

Article : Chronique d’une mort (in)évitable: la mort de mon père 
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21 septembre 2016

Chronique d’une mort (in)évitable: la mort de mon père 

Chronique d’une mort (în)évitable: la mort de mon père!

Aujourd’hui, tu aurais eu 79 ans papa: joyeux anniversaire!

Je te rend hommage avec ce récit!
J’adore mon père !

Quand j’étais plus jeune, de son vivant, la simple évocation mentale de sa mort me mettait dans un désarroi indescriptible. Et pourtant, il est mort, devant moi, de manière prévisible, inévitable. Voici le récit des derniers jours de mon père tel que je l’ai vécu et ressenti il y a maintenant 13 ans.

Tout a commencé au mois de février 2002, par une épistaxis : un saignement du nez, survenu le jour de mon examen de 1er trimestre en 4ème année de médecine. Le saignement était tellement abondant que les mesures classiques pour l’arrêter ne faisaient pas d’effet! Il a fallu l’amener en urgence au service d’ORL de l’hôpital Dantec pour faire un tamponnement antérieur et mettre des médicaments pour stopper l’hémorragie.

Le tamponnement a été laissé en place pendant 48h mais dès qu’il a été enlevé, le saignement a repris, ce qui était assez inhabituel pour un banal saignement de nez.

Le tamponnement a été reconduit et le médecin a demandé un bilan sanguin en urgence pour trouver la cause de ce saignement intarissable.

Le bilan a montré une anémie très sévère, à 2 grammes d’hémoglobine alors qu’il faut en avoir minimum 12 et une diminution drastique des 3 composants essentiels du sang : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes.

Ces dernières, étant responsables de la coagulation, leur diminution expliquait les difficultés à stopper le saignement. La seconde question qu’induisait ces résultats étaient : pourquoi cette pancytopénie, cette diminution des 3 lignées d’éléments figurés du sang ?

Une transfusion sanguine a été décidée dans l’urgence et des explorations plus approfondies proposées par le médecin du service de Médecine Interne où mon père avait été transféré.

Une biopsie de la moelle osseuse, siège de fabrication des éléments constitutifs du sang, a été ainsi faite.
Je me souviens encore de cet après-midi du jour où je suis allé au laboratoire de cytologie de l’Hôpital Principal de Dakar pour récupérer moi-même les résultats de la biopsie que j’avais déposée 48h avant.

Cela coïncidait avec le jour de la sortie de mon père qui, grâce à la transfusion, avait retrouvé des couleurs et avait préparé ses bagages. Il attendait juste que j’aille rapidement prendre ses résultats, qui ne pouvaient être que bons, vu qu’il était guéri !

Quand je suis allé directement au laboratoire, le biologiste était justement entrain de regarder au microscope la biopsie. Voici le récit de ma conversation avec lui :

– « justement, je suis en train de lire la lame de votre patient, c’est très intéressant, venez voir, on retrouve dans la moelle, des cellules qui n’ont rien à y faire et c’est eux qui colonisent ces cellules qui doivent fabriquer le sang » m’avait-il dit.

– « c’est-à-dire ?? »

– « des métastases !»

– « des métastases ?!?!?!

– « oui, un cancer métastasé, maintenant il faut trouver la tumeur primitive, c’est un parent à vous ? »

– « heu oui, c’est mon père ! »

A ce moment, le biologiste, le toubab, est passé de blanc à tout rouge et je vous laisse imaginer la stupeur et la consternation dans laquelle cette annonce m’a plongé !

C’est la mort dans l’âme, avec l’enveloppe que je rapportais, que j’ai remis au médecin les résultats qui l’ont choqué aussi.

– « qu’est ce qu’on fait ? » m’avait –il demandé ?

– « qu’est ce qu’on fait ? » avais –je répondu ?

Après quelques minutes de réflexion, il a poursuivi :

– « bon, ton père est prêt à partir, il se sent en pleine forme, on ne va pas le décevoir, si on le retient cela va complètement saper son moral et sera totalement contre-productif. On va le laisser rentrer à la maison. Mais, sache qu’il reviendra, on le laisse partir mais on ne le lâche pas, on va l’accompagner jusqu’à la fin »

Cette décision prise par ce médecin ce jour, a été pour moi la plus belle, la plus sage et la plus courageuse qu’un médecin ait pu prendre. Pour cela, aujourd’hui encore, je lui voue une éternelle reconnaissance et un profond respect.

Quand on est donc retourné le voir dans sa cabine, il nous a dit dès que nous sommes rentré :

– « Alors c’est bon les résultats, je peux rentrer chez moi ? »

– « Oui M. Diop, c’est parfait, vous pouvez rentrer mais, on ne vous lâche pas, il y aura surement d’autres radio et d’autres bilans à faire dans les semaines à venir ! En attendant, rentrer et reposez vous bien ».

– « Parfait Dr, encore merci pour la prise en charge » lança mon père en s’engouffrant dans sa voiture.

Les métastases sont des localisations secondaires d’un cancer.

Elles sont les témoins du dernier stade de l’évolution du cancer, le stade terminal. L’espérance de vie au stade de métastases, quelque soit le traitement, est, en général, de quelques semaines à quelques mois maximum.

Les semaines suivantes, le bilan a montré 6 autres localisations de métastases : les poumons, le fémur, l’œil, l’arrière cavité du nez et le lobe frontal du cerveau !

La tumeur primitive elle a vite était localisée : il s’agissait de la prostate. Un an auparavant, un bilan qu’il avait fait avait montré une hypertrophie de la prostate avec un taux élevé de PSA, les marqueurs antigéniques spécifiques de cet organe. Les deux biopsies prostatiques n’étaient pas concluantes et n’identifiaient pas formellement une tumeur cancéreuse.

La proposition d’enlever la prostate avait été formulée par son urologue mais, puisque la biopsie n’avait pas formellement révélée de cellules malignes, il avait opté pour un traitement médicamenteux.

A partir de ce moment, après une période de mieux apparent, son état de santé s’est régulièrement détérioré. Il a été ré hospitalisé une seconde fois pour être opérer et on a enlevé la source de sécrétion de certaines hormones responsables des douleurs cancéreuses.

La veille de son hospitalisation, il m’a demandé si les résultats de son bilan n’étaient apparemment pas si bons que ça. Je lui ai avoué qu’effectivement ils n’étaient pas si bons que cela mais que puisque était prêt à sortir, on ne voulait pas le décevoir.
J’ai tenté de lui expliquer la présence « dans la moelle, des cellules qui n’ont rien à y faire » mais il m’a simplement répondu : « ok, fait de ton mieux mais, je ne veux simplement pas souffrir ».

J’avais, ainsi, momentanément interrompu mes études de médecine pour lui installer dans sa chambre tout l’équipement dont il avait besoin pour recevoir ses traitements antidouleurs par des perfusions en collaboration avec son médecin traitant Pr Mbayang.

Il avait aussi sa bouteille d’oxygène à son chevet pour l’aider à mieux respirer avec son insuffisance pulmonaire.

Par la suite, devant la cherté des médicaments, un de ses cousins, a mis à sa disposition tous les médicaments dont il avait besoin grâce à un carnet de bons de commande de pharmacie. Merci pour lui.

Mes oncles et tantes me mettaient une très grande pression pour que j’organise une évacuation sanitaire de mon père en Europe pour qu’il y reçoive des soins adéquats.

J’ai toujours refusé cette option sachant que cela ne servirait à rien vu le contexte, sans jamais révéler les vraies raisons de mon refus.

Devant la santé progressivement dégradée de papa, ma sœur, qui lui était très attachée a commencé à faire régulièrement des crises de spasmophilie similaires à des crises d’épilepsie, crises qui ont cessées le jour de la disparition de papa.

Une semaine avant son décès, devant le désarroi de ma mère qui ne comprenait pas pourquoi malgré tous les traitements mis en place, mon père ne guérissait pas, j’ai du enfin lui expliquer la situation sanitaire réelle, ce qui a, dans un 1er temps était très douloureux pour elle mais qui lui a redonné le cœur à l’ouvrage.

Elle a pu ainsi redoubler d’efforts dans la prise en charge quotidienne de papa.

La veille de son décès, voyant qu’il perdait de plus en plus l’usage de sa langue, je lui ai demandé de répéter après moi la Chahada, ce qu’il a pu faire correctement une dernière fois.

Le dimanche 28 juillet 2002, alors que j’étais allé déposer un cadeau d’anniversaire à celle qui, discrètement mais efficacement, me soutenait moralement, sentimentalement en plus de partager avec moi le lourd fardeau des soins palliatifs de mon père et qui, un an plus tard, allait devenir ma chère et tendre épouse, on me rappela en urgence à la maison.

Revenu en catastrophe, dès que je l’ai vu, j’ai su que c’était la fin.

Il était dans son lit, avec l’iman et mon grand frère. Il venait de prendre son déjeuner et son dessert.

L’ambiance de la chambre était glaciale, il regardait fixement le plafond avec une respiration rapide et brève. Sa main était froide.

L’ange de la mort était manifestement arrivé.

L’iman appelé pour la circonstance lisait calmement, d’une belle voix, la sourate Yacine.

Progressivement, sa respiration s’est accélérée puis a ralenti avec de s’arrêter après un dernier spasme et un filet de bave mêlé du yaourt qu’il avait mangé a coulé sur son menton, c’était fini

J’ai pris mon stéthoscope pour le poser sur sa poitrine et jamais un silence n’a été aussi assourdissant à mes oreilles : « as quiet as a church », constat de décès de mon père !

L’iman avait terminé sa lecture, formulé ses dernière prières et lui a refermé les yeux. Il a demandé à ce que l’on prévienne la famille et qu’on le fasse transporter à la morgue de la mosquée.

La dernière image qui reste imprimée dans mon esprit c’est quand je suis sorti de sa chambre et que je suis tombé, nez-à-nez avec ma mère qui essuyait les couverts qui avaient servi à son dernier repas. Quand elle me lança : « alors papa va bien ? », je n’ai eu la force que de répondre : « oui, il va très bien ! ».

C’est quand elle m’a vu ouvrir le garage et faire rentrer la voiture en marche arrière qu’elle a éclaté en sanglot car elle venait de comprendre… que Papa était parti !

ton fils qui t’adore….

Toubibadakar

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