Un stage rural, le déclic de ma vocation de médecin

Article : Un stage rural, le déclic de ma vocation de médecin
Crédit:
28 novembre 2017

Un stage rural, le déclic de ma vocation de médecin

Je suis arrivé à la maison médicale de Wassadou le 1er Avril 2006. Loin d’être un poisson d’avril, c’était le début d’une des plus belles aventures professionnelles (et humaine) que j’ai vécu.

Pour le citadin que je suis, il s’agissait de mon premier séjour dans le monde rural de mon propre pays. Je n’avais jamais dépassé Thiès auparavant, la honte et le déshonneur !!MDR !

Depuis la première année de médecine, j’ai travaillé avec le Pr Mbayang Niang Ndiaye dans l’organisation des différentes foires aux livres du Kinkéliba. J’ai progressivement adopté et assimilé les principes de l’ONG. C’est donc tout naturellement que j’ai décidé, après la 3ème édition de la foire, d’aller passer 6 mois á la Maison Médicale Pierre Fabre de Wassadou dans le cadre de mon stage de fin d’études médicales.
Permettez-moi de partager donc avec vous cette expérience qui a influencé mon choix de spécialisation.

UN PLAISIR ! C’est le seul mot que je puisse utiliser pour qualifier ce séjour. Il a été un enrichissement aussi bien sur le plan professionnel qu’humain.

Sur le plan humain d’abord, à la Maison Médicale, j’ai trouvé un personnel tout simplement formidable. L’ambiance, á tout moment, particulièrement á table, y est extraordinaire.

Imaginez autour d’une même table : M. Diallo (responsable de la ferme) et Tidjane (un des infirmiers) : les Peulhs + Anne-Marie (la sage-femme) et Simon (le gérant du télécentre) : les Sérères, Frédéric (le chauffeur Bédik) ainsi que Julie et Cathy (élèves sages-femmes), Marie -Christine et Deuguène (les stagiaires pharmaciennes) et Dr Saugier et son épouse (du Kinkéliba) le tout mélangé á la sauce du cousinage á plaisanterie.
Avec ce melting-pot, vous aurez des moments d’une hilarité et d’une ambiance telle que le film « Un dîner de cons » ferait pâle figure en comparaison.
De mémoire, on a
– M Diallo avec son fameux concept « souvent il m’arrive d’être en retard mais c’est rare !! » ou « moi, je ne surfe jamais sur Internet, je lis juste mes e-mails !! » (Cherchez l’erreur !!)
– ou encore Simon qui fait le bilan de sa quête désespérée de dot (80.000) pour osez demander la main de Anne-Marie (aux dernières nouvelles, il n’avait que 40.000 F)
– ou le Dr Saugier qui vous raconte les mésaventures de sa fille en Chine avec les cours de renforcement de ses élèves !!
– et surtout, surtout Frédéric mimant la chasse aux serpents par les cynocéphales ou sa fameuse technique pour attraper les singes…. UN PLAISIR !!!

N’allez pas croire qu’on passe notre temps á nous amuser á la Maison Médicale, toutes ces personnes, á l’heure du travail font preuve d’un vrai professionnalisme.

En dehors de la Maison Médicale aussi, les gens sont formidables, simples, pas très aisés mais gentils, accueillants, généreux. Ils n’hésitent pas á partager avec vous le peu qu’ils ont. Ce n’est pas grand-chose mais, c’est très évocateur de leur reconnaissance.
Ce sont des populations braves, fières, généreuses, démunies qui méritent d’être aidées.

Sur le plan professionnel, le séjour á Wassadou a été très enrichissant.
On y retrouve des réalités différentes de celles retrouvées en pratique médicale urbaine et, pour un médecin, il s’agit d’une mine d’informations exploitables á souhait.
Par exemples, l’âge moyen de la première grossesse y tourne autour de 13-15 ans, il s’en suit fréquemment 6 á 8 grossesses avec un intervalle inter génésique d’une exactitude déconcertante (2 ans pour 99 % d’entre elles) et surtout une ménopause ultraprécoce (35-38ans au plus tard). Hey oui mesdames, 38 ans au plus tard !!!!!!!
Il en résulte naturellement tout un cortège de conséquences médicales á rechercher, prévenir, traiter, étudier, analyser : ostéoporose précoce, diminution de la masse musculaire, fistules uro-génitales, mortalité materno-infantile élevée (78‰), morbidité et la liste ne saurait être exhaustive.

La première fois que j’ai vu, de mes propres yeux une épaule négligée, c’était à Wassadou ! Cette image me hante encore.
Un jour, une grand-mère qui baillait a eu une luxation de la mandibule, elle a fait le tour des féticheurs locaux mais ils n’ont pas pu réduire la luxation avec leurs incantations et autres gris-gris. Par chance, ayant séjourné dans le service de stomatologie à Dantec, j’ai pu réussir, par la manœuvre de Nélaton, à lui remettre la mâchoire en place.

La malnutrition chez les enfants est omniprésente (5-8 kg á 1 an, 13-15 kg á 5 ans !!!!), la géophagie (manger du sable) est quasi-permanente, l’anémie : généralisée. Le programme de récupération nutritionnelle de la sage-femme y rencontre un vif succès.

Ces chiffres sont différents de ceux rencontrés en milieu hospitalier en ville et méritent d’être étudiées et pris en compte par les politiques de santé publique.
Des études sont en cours de réalisation sur le paludisme, les injections intra rectales, le planning familial, etc.

L’activité chirurgicale n’est pas en reste. Certes Wassadou n’est pas encore pourvu d’un bloc opératoire fonctionnel mais nous y faisions de la petite chirurgie : circoncision, épisiotomies, premiers soins des accidentés de la circulation sur la nationale 7.

Tout ceci pour dire qu’il y a tant et tant de choses á faire dans le monde rural et les médecins y ont leur partition á jouer.

J’ai pu échapper au chef du village qui voulait absolument me donner une seconde femme pour que je m’installe définitivement là-bas !!! MDR !!

Il faut cependant reconnaître que la vie en brousse n’est pas sans désagréments.
En tête de liste il y a la chaleur ! Il fait, á Tambacounda, chaud, très chaud !au mois d’avril (et c’est même un euphémisme) 40 á 45 degrés á l’ombre, le voyage est très long (6 á 8 heures), la route n’était pas toujours bonne.

SSL20320Il y a parfois trop d’insectes (pour un citadin) et les serpents, scorpions et autres scolopendres soigneusement vous éviterez.

Au début bien sûr cela me dérangeait mais on finit par s’y habituer et á s’habiller en conséquences (léger, avec des bottes á partir de 19h).

Mais, ces épiphénomènes ne doivent pas constituer une entrave d’autant plus qu’à la belle saison, après la pluie, il y fait très bon.

Mon séjour à Wassadou a été décisif dans mon choix de la gynécologie comme spécialité : j’y suis allé en étant faisant fonction d’interne en stomatologie, à mon retour, j’ai démissionné, fais une année probatoire puis 4 ans de spécialisation en gynécologique.

Á présent, j’invite mes amis, mes collègues médecins, les jeunes surtout, mes aînés, mes Maîtres et les autorités á promouvoir la médecine de brousse. Il faut encourager, inciter les jeunes médecins á exercer en milieu rural. Il faut faciliter l’accès au monde rural, améliorer les infrastructures routières, développer les moyens de communications (téléphonie fixe, Internet, GSM,), financer et faciliter l’installation des médecins de brousse.

Notre pays en a besoin pour se développer, le Kinkéliba a montré que cela était possible (un bijou en pleine brousse), Le Dr Zida est un des pionniers, un exemple á encourager.
Sous la houlette du Pr Mbayang, un groupe de carabins, á la fac de médecine, est formé, sensibilisé, informé sur la nécessité (et le plaisir) de travailler en brousse. J’ai été l’un d’eux, mais sûrement pas le dernier. Ce n’est pas toujours facile mais ce n’est sûrement pas difficile, assurément pas impossible.

80% de notre pays est un monde rural et il a besoin d’être aidé pour se développer. Les villes sont saturées, encombrées, stressantes, le monde rural est enchanteur, ‘vide’, prêt á nous accueillir.
En plus vous apprendrez les langues du pays (j’avais commence á parler pullar et diakhanké).
Personnellement, je n’ai pas pu concrétiser mon rêve de travailler dans le monde rural à cause d’un stupide fonctionnaire du Ministère de la Santé, (je vous raconterai l’histoire une autre fois).

Pour terminer, je dirai tout simplement : VENI, VIDI, …j ai été ‘conVICI’, j’ai apprécié, et j’y retournerai.

toubibadakar.mondoblog.org

Partagez

Commentaires