L’excision : un acte d’une violence inouïe

Article : L’excision : un acte d’une violence inouïe
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10 février 2018

L’excision : un acte d’une violence inouïe

L’excision est une coutume, c’est aussi un acte cruel, d’une violence inouïe.
A l’occasion de la journée mondiale contre les mutilations féminines, voici le témoignage d’une femme qui se souvient du jour où elle a été excisée.
Âmes sensibles s’abstenir.

« Quand j’ai réussi mes examens de fin d’études élémentaires, je n’attendais qu’une seule chose : recevoir des cadeaux, des cadeaux, et encore des cadeaux !

Je pensais déjà au CEM où je devais continuer mes études. Je pensais à mes nouveaux camarades de classe, au nouveau programme… Je me prenais déjà pour une grande. J’adorais déjà ma nouvelle vie et je m’attendais à vivre des choses exaltantes. J’attendais la rentrée des classes avec impatience. Normal me direz-vous.

Mais c’était sans compter avec les membres de ma famille, qui voulaient me gâcher mes vacances.

Un soir, avant de me coucher, je m’en souviens comme si c’était hier, une de mes cousines m’a dit : « on va aller chez grand-mère demain, néna daf la nama« (NDLR: elle a de la nostalgie).
J’ai sautillé comme un cabri, trop contente d’aller voir grand-mère ! On s’adorait.

Le fait de se réveiller très tôt le lendemain matin m’a quand même un peu titillé l’esprit :

– Pourquoi à 6h du matin pour prendre un taxi ? Grand-mère n’habite pas loin.

– Non juste, on va t’acheter des habits, mais avant on passe chez une amie de la famille.

L’amie en question c’était l’exciseuse.
Une bonne femme qui avait l’air pourtant gentille, rassurante. Mais dès que j’ai mis les pieds dans cet endroit qui se trouve derrière le quartier de la médina, mon sang s’est figé.
Je me suis senti prise au piège. Prise comme un rat. Je ne parlais plus. Mon esprit refusait de fonctionner, comme si je n’en avais plus. J’avais un mauvais pressentiment.

Il était 6h30 du matin à notre arrivée. Comme pour nous laisser le temps de nous habituer à cette nouvelle maison qui serait notre demeure pendant quinze jours, personne ne nous adressait la parole. Je n’étais pas seule, j’avais remarqué la présence d’autres filles, certaines plus âgées que moi (j’avais 12 ans), d’autres plus jeunes.

Nous étions dans un silence total, nous ne nous parlions pas. Nous observions le va-et-vient des femmes qui s’agitaient comme des fourmis dans une ruche. Cela n’augurait rien de bon.
Je regardais les filles partir, on les emmenait derrière un bâtiment, mais je ne les voyais pas du tout en sortir. J’ai cru entendre des cris, mais j’ai pensé que c’était mon imagination qui me jouait des tours.

A 9h, une dame est venue me trouver et elle m’a demandé de la suivre, ce que je fis. Je me suis retournée pour regarder ma cousine, mais elle a détourné rapidement la tête. J’ai eu peur. Alors que j’entrais dans le bâtiment, j’ai commencé à frissonner.

Il y avait des femmes debout qui m’attendaient. L’une me demanda de danser, et elles frappaient toutes des mains. Et j’ai dansé, comme une folle. Je pensais que j’allais libérer toute cette peur, mais en fait elle se décuplait… Pourquoi se tenaient-elles toutes autour de moi comme pour m’empêcher de fuir ?

Celle qui est venue me chercher m’a demandé de me déshabiller, puis de m’allonger.

– Mais pourquoi ?

Elle m’a répondu avec le sourire : « Dara loy ragal ? Djiguéne dafay niémé, khana bougou lo am dieukeur ack dom ? (NDLR: de quoi as tu peur? Une femme doit être courageuse, ne veux tu pas avoir un mari et des enfants?).

J’ai répondu « si  » avec un sourire crispé.

Elle a repris : « Alors couche toi, maintenant. Tu es une grande fille. Daniou lay djangal reck. » (NDLR: on va juste t’apprendre).

Dès que je me suis allongée, trois femmes m’ont saisi la jambe droite et l’ont maintenue au sol, et trois autres ont fait pareil pour la jambe gauche. Là, j’ai commencé à paniquer. Une autre me tenait la tête bien fermement, elle était la plus forte. Et là, celle en qui j’avais confiance et que j’ai suivie dans ce lieu s’est assise. Je l’ai vu se pencher sur moi avec la lame en me disant «  li dou dara djongou la reck » (NDLR: ce n’est rien cela, c’est juste une excision) et avant que je ne comprenne ce qui se passait, j’ai senti cette lame qui me coupait le clitoris.

Je la sens encore cette lame, 35 ans après, je la sens encore, me couper une partie de ma féminité, ma chaire, mon intimité.

Il suffit que j’entende parler de l’excision pour croiser mes jambes.

Mes cris… On les entendait. Personne ne pouvait les ignorer, mais tous on fait semblant de ne pas m’entendre.

Quelle barbarie cette coutume !

Après m’avoir coupée, la dame, toujours le sourire aux lèvres, m’a aidée à me relever et m’a emmenée dans les toilettes.
J’ai cru que j’allais me vider de tout mon sang, il y en avait partout, je pleurais. Je pleurais de rage.

Je pleurais et je lui demandais sans cesse « lou takh guéne deef ma ni ? » « lane la léne deff  ? » (NDLR: pourquoi vous m’avez fait cela? Que vous ai-je fait?).

Et elle : « mais non boul wakh lolou, c’est pour ton bien. Kharal ba gua am dieukeur. » ( NDLR: mais non ne dis pas cela, c’est pour ton bien. Tu comprendras quand tu seras mariée.)

Et moi de lui répondre : « Bougou ma am dieukeur té dina léne bollé sama mame« (NDLR: je ne veux pas avoir de mari et je vous dénoncerai à ma grand-mère.)

La dame souriait toujours. J’avais très mal. Je pouvais à peine marcher.

Ensuite, on nous a emmenées dans une case ou nous devions passer les 15 prochains jours à l’abri des regards des hommes, à manger du riz arrosé à l’huile de palme. Quinze jours que je n’oublierai jamais. Les soins y étaient à base de feuilles de je ne sais quelles plantes.

À ma sortie, j’avais acquis une grande force de caractère, mais j’avais surtout envie de tuer toutes les personnes qui s’approchaient de moi. J’étais en rage.
Je suis allée voir ma grand-mère, j’ai été surprise de savoir qu’elle était au courant, même si elle n’approuvait pas…

Plus tard, au lycée, j’ai presque eu du mal à passer mes examens comme le Bfem, le baccalauréat. Comme si les choses risquaient de se répéter, je craignais qu’il puisse encore m’arriver quelque chose de cruel. Dans ma tête, c’était : « si tu réussis, il t’attend quelque chose de plus dur encore« .

Je suis vieille maintenant, mais je garde toujours ces souvenirs vieux de 35 ans dans ma tête.

La barbarie de l’excision doit disparaître de la surface de la terre.

 

 

Témoignage recueilli par Toubibadakar

 

 

 

 

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Commentaires

Mawulolo
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Dommage pour ces sacrilèges qui continuent d'être commis sur cette terre...