Philosophie de l’accouchement

Article : Philosophie de l’accouchement
Crédit: Alexandre Sessi / Iwaria
4 septembre 2021

Philosophie de l’accouchement

Âmes sensibles, s’abstenir ! En tant que gynécologue, nous avons le devoir et surtout le privilège d’assister à un des temps forts de la vie de l’être humain : l’accouchement.

Il s’agit toujours d’un moment particulier, tant sur le plan physiologique que sur le plan émotionnel. De prime abord, il nous renvoi à ce qu’il y a de plus grégaire, de plus animal, dans notre nature.

Voir un être humain, fût-il un bébé, sortir d’un autre humain par les voies naturelles, a quelque chose de très impressionnant, de très bestial. Même s’il s’agit d’une césarienne, cela reste tout aussi impressionnant, même pour le plus aguerri des praticiens.

Au-delà de son aspect physiologique, l’accouchement présente un côté philosophico-religieux que l’on peut percevoir en filigrane, pour peu que l’on soit un peu réceptif. De la petite expérience des accouchements durant lesquels j’ai eu le privilège d’intervenir, voici la philosophie que j’en conclus.

La vie et la mort

La quasi totalité des grands concepts de la vie sont faits de deux extrêmes intimement liés : le jour et la nuit, le bien et le mal, l’homme et la femme, le paradis et l’enfer, le grand et le petit, le beau et le moche, etc. Aucun de ces concepts ne saurait avoir de sens si l’autre n’existait pas. Ne dit-on pas que si l’idiotie n’existait pas, l’intelligence n’aurait pas de sens ? Ou que toute âme qui a goûté à la vie gouttera à la mort.

Justement, parmi ces concepts, les deux plus importants et les plus liés sont la vie et la mort. De ce fait, l’accouchement constitue l’illustration parfaite de cette dichotomie vie/mort. Lorsqu’on assiste au décès d’une personne, on sent cette mort. Elle est forte, puissante, implacable.

La naissance est empreinte de la même charge émotionnelle et symbolique, sauf qu’il s’agit ici d’émotions positives, si cela se passe bien, évidemment. En ce sens, la naissance est très proche de la mort. C’est pratiquement comme si la patiente allait jusque dans les entrailles de la vie pour y récupérer une autre vie. L’accouchée flirte littéralement avec… La mort.

L’accouchement ne tient qu’à un fil

D’ailleurs, dans le langage populaire wolof, après un accouchement, on dit que la femme « mouthieu neu », ce qui veut dire littéralement qu’elle a échappé… à la mort. Ç´est dire à quel point l’accouchement ne tient qu’à un fil.

De manière non médicale et sans verser dans un quelconque fanatisme, quelque soit son obédience religieuse, il est toujours recommandé pour l’accoucheur d’être dans un minimum d’état de pureté pour assister activement et efficacement à un accouchement. Cette même pureté est totalement admise lors de l’administration des derniers sacrements à un mourant.

Par exemple, lorsque qu’on fait un accouchement sans prendre la peine de faire ses ablutions, on se retrouve quasiment à chaque fois devant des complications, souvent inattendues, et même parfois malheureuses.

L’accouchement est unique

Autre constat fait, tout accouchement est unique. Des milliers d’accouchements que j’ai eu à faire, il n’y en pas deux d’identiques, aussi bien dans le début du travail, son déroulement, l’expulsion ou la délivrance.

L’accouchement constitue dans une sorte de miroir sans tain, sur lequel l’observateur expérimenté voit, devine, perçoit le reflet de cette proximité avec l’essence même de la vie et de la mort.

L’accouchement, c’est la vie, mais c’est surtout aller aux confins de la vie, à la frontière avec la mort pour y voir ce qu’il s’y passe et, si Dieu le veut bien, revenir en rapportant dans ses bagages… La vie.

Toubibadakar

Partagez

Commentaires